En mai 2020, la réforme du franc CFA, souvent perçu comme l’un des symboles de la Françafrique, a été officiellement adoptée par les présidents ivoirien et français, Alassane Ouattara et Emmanuel Macron. Quatre ans plus tard, la transition attendue vers l’ECO, symbole de souveraineté monétaire pour les pays de l’UEMOA, reste suspendue, nourrissant impatience et interrogations.
Le franc CFA, de par sa dénomination même, demeure associé à l’héritage colonial français dans les pays qui l’utilisent. En Afrique de l’Ouest, notamment à Ouagadougou, Bamako, Niamey et Dakar, des manifestations populaires ont réclamé son abolition, scandant des slogans virulents. En Afrique centrale, bien que dans une moindre mesure, ce rejet s’exprime également, comme au Cameroun.
Cette monnaie, de plus en plus contestée par les populations ouest-africaines et certains leaders politiques, a fait l’objet de promesses de réforme. Cependant, le passage au concret semble aujourd’hui au point mort. Depuis 2017, le Front panafricain anti-CFA, porté par l’activiste franco-béninois Kemi Seba, a amplifié les revendications sur les réseaux sociaux, tandis que des intellectuels comme l’économiste Kako Nubukpo, aujourd’hui commissaire à l’UEMOA et ancien ministre de l’Économie du Togo, continuent de militer pour une souveraineté monétaire.
Une simple question monétaire ?
Le rejet du CFA dépasse largement la seule question monétaire. Bien qu’il ait été plus stable que des monnaies voisines comme le Cedi ghanéen ou le Naira nigérian, il est perçu par ses détracteurs comme un outil de domination néocoloniale. Pour les partisans de la souveraineté monétaire, cette revendication s’inscrit dans une lutte plus large pour une véritable indépendance nationale.
Au-delà de la monnaie, il s’agit d’une bataille symbolique visant à redéfinir les relations avec la France, que ce soit sur les plans diplomatique, économique, militaire ou culturel.
La parité avec l’EURO en question
Les critiques du CFA dénoncent notamment la parité fixe avec l’EURO, qui, selon eux, décourage les entreprises africaines d’améliorer leur compétitivité et freine les efforts de substitution des importations par une production locale. Ce système perpétue une dépendance économique aux produits importés et maintient les pays dans une économie de rente basée sur les matières premières.
L’accord de 2020 a marqué certaines avancées, notamment la suppression du transfert de 50 % des réserves de change de l’UEMOA vers le Trésor français et le retrait de la France du conseil d’administration et du comité de politique monétaire de la BCEAO. Toutefois, la garantie du CFA par la France reste en vigueur, maintenant une forme de tutelle financière.
Perspectives et scénarios
Selon Émilie Laffiteau, macroéconomiste et chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), trois scénarios se dessinent pour l’avenir. Le premier prévoit une adoption de l’ECO comme monnaie commune pour les 15 pays de la CEDEAO, un effort qui mobilise actuellement les acteurs régionaux. Le second scénario propose une monnaie unique limitée à la zone UEMOA, avec un simple changement de nom et de parité. Dans ces deux cas, le rôle du Trésor français demeure central. Enfin, le dernier scénario envisage une sortie unilatérale de certains pays pour adopter une monnaie nationale, à l’image du franc guinéen créé en 1960.
Une lenteur inquiétante ?
Le passage au nouvel ECO devait s’effectuer en deux étapes : d’abord pour les huit pays de l’UEMOA, suivis des sept pays anglophones, sous condition de critères de convergence macroéconomique, avec un régime de change flexible. Ce projet semble aujourd’hui en suspens, freiné par la conjoncture économique et géopolitique mondiale. La guerre en Ukraine, la hausse des taux d’intérêt mondiaux et l’inflation pèsent lourdement sur les régimes de change flexibles des pays en développement.
Malgré ces obstacles, les mouvements anti-CFA continuent de faire entendre leur voix. En 2024, ils ont intensifié leurs actions, utilisant des formes artistiques comme les graffitis pour exprimer leur mécontentement face à l’immobilisme. Comme le dit un adage : « Quel qu’en soit la durée de la nuit, le soleil finira par paraître. »