D’où vient qu’il fait nuit la nuit ? Cette question, en apparence naïve, a intrigué les savants pendant près de quatre siècles. Il ne s’agit pas ici de relire le célèbre roman Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, mais de tenter de comprendre un paradoxe scientifique fascinant. Pourquoi, dans un univers rempli d’étoiles, la nuit n’est-elle pas uniformément lumineuse ?
« La nuit n’est nuit que pour nous. Ce sont nos yeux qui sont obscurs. »
Le premier à s’interroger fut l’astronome Johannes Kepler, qui conclut que si l’univers était infini, le ciel devrait être uniformément brillant, de jour comme de nuit. Chaque ligne de vue dans le ciel finirait par rencontrer une étoile. Ce paradoxe fut approfondi par Edmond Halley et plus tard par Heinrich Olbers au XIXe siècle. Ils démontrèrent que même les étoiles les plus lointaines devraient contribuer à illuminer le ciel nocturne, car leur nombre compense leur faible luminosité individuelle due à la distance.
Les premières réponses : la finitude et l’absorption
En 1743, Jean-Philippe Loys de Cheseaux suggéra que le ciel nocturne était noir parce qu’une matière interstellaire opaque absorbait la lumière des étoiles les plus éloignées. Cependant, cette hypothèse ne pouvait expliquer entièrement le paradoxe.
C’est Edgar Allan Poe, dans son texte Eurêka (1848), qui proposa une idée révolutionnaire : la lumière met du temps à nous parvenir. Les étoiles les plus lointaines n’ont tout simplement pas eu assez de temps pour que leur lumière atteigne la Terre, puisque la vitesse de la lumière est finie. Cette hypothèse fut reprise et validée par le physicien Lord Kelvin.
Avec les découvertes du XXe siècle, les scientifiques comprirent que les étoiles ont un âge fini. Elles n’ont pas toujours existé et elles finiront par s’éteindre. De plus, l’univers lui-même a un âge fini, environ 13,8 milliards d’années. Cela signifie que seule la lumière des étoiles situées à une distance maximale de 13,8 milliards d’années-lumière a eu le temps de nous atteindre.
L’expansion de l’univers
Une autre découverte capitale fut celle de l’expansion de l’univers. Dans un cosmos en expansion, la lumière des galaxies lointaines est décalée vers le rouge (effet Doppler). Ce phénomène rend leur lumière de moins en moins visible à mesure que l’univers s’étend, ajoutant une autre explication à l’obscurité nocturne.
En 1964, les scientifiques Arno Penzias et Robert Wilson découvrirent le fond diffus cosmologique, un rayonnement fossile issu des premiers instants de l’univers. Ce rayonnement est omniprésent et baigne tout l’espace, mais il est invisible à nos yeux. Sa fréquence est trop basse pour être perçue par notre vision humaine.
Nos yeux assombrissent la nuit
Finalement, une partie du mystère réside dans nos yeux. Notre système visuel est limité et incapable de percevoir certaines longueurs d’onde, comme celles du rayonnement fossile. Le ciel nocturne n’est pas réellement noir : c’est notre perception humaine qui le rend ainsi.
En latin, deux mots existent pour désigner le noir : ater (un noir mat, sombre, sans éclat) et niger (un noir brillant, lumineux). On pourrait dire que nos yeux ont « dénigré » le ciel nocturne, lui retirant son éclat en le rendant mat et sombre. Les astronomes, quant à eux, ont su redonner son éclat à la nuit en révélant les mystères cachés derrière cette obscurité apparente.
Comme l’a si bien écrit René Barjavel : « La nuit n’est nuit que pour nous. Ce sont nos yeux qui sont obscurs. »