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Gouvernance foncière au Bénin: le paradoxe des cités lacustres

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Gouvernance foncière au Bénin: le paradoxe des cités lacustres
@Africa Immo

Elles sont des dizaines, ces cités dites lacustres que l’on rencontre principalement dans la partie méridionale du territoire national, et qui ne sont en réalité que des établissements humains construits sur des lacs et des lagunes, sur lesquels ils se sont développés à travers les âges et suivant des logiques et pratiques foncièrement endogènes (mode d’appropriation de l’espace, technologie et matériaux de construction…).

Certaines d’entre elles, comme par exemple Ganvié, la plus renommée de toutes, surnommée d’ailleurs la Venise d’Afrique, seraient même pluricentenaires.

Cependant, force est de constater qu’aux termes des dispositions du Code Foncier et Domanial (CFD), les fleuves, les lacs, les lagunes, les rivières, les étangs, les marais, ainsi que leurs berges et rivages respectifs font partie intégrante du domaine public de l’État et des Communes.

Dès lors, la question se pose de savoir de quels droits fonciers jouissent (ou pourraient jouir) alors les habitants de ces cités-là. En d’autres termes, est-il possible pour l’habitant d’une cité lacustre de demander et d’obtenir, conformément à la réglementation nationale en vigueur, un Titre Foncier (TF) sur l’espace qu’il occupe sur le lac ou la lagune ?

C’est dans le souci de contribuer à répondre convenablement à cette question très pratique que je viens humblement partager avec les uns et les autres les quelques éléments d’analyse suivants.

1- Bref aperçu du statut juridique des lacs et des lagunes

Sites préférentiels d’accueil des cités lacustres, les lacs et les lagunes sont considérés, ici au Bénin et ailleurs dans le monde, et ce, pour des motifs évidents d’intérêt général (navigation, activités halieutiques, loisirs, énergie, eau et assainissement…), comme des biens collectifs relevant du domaine public naturel.

À ce titre, ils sont soumis, comme tout autre bien du domaine public, aux trois (3) principes caractéristiques que sont l’INALIÉNABILITÉ, l’IMPRESCRIPTIBILITÉ et l’INSAISISSABILITÉ.

Avec le principe d’inaliénabilité, la cession du bien faisant partie du domaine public est impossible sans son déclassement préalable. La vente d’un bien non déclassé est donc proscrite et frappée tout simplement de nullité. Il s’ensuit logiquement qu’aucun droit de propriété ne saurait être valablement constitué sur un tel bien au profit de quelqu’un.

Selon le principe d’imprescriptibilité, personne ne peut s’approprier un bien du domaine public du fait de son utilisation prolongée. En conséquence, la prescription (acquisitive ou extinctive) ne peut être appliquée au profit de quiconque, quel que soit le temps d’occupation ou d’utilisation du bien concerné.

Le troisième principe, quant à lui, rend absolument impossible la saisie de tout bien appartenant au domaine public.

En dépit de ces trois principes fondamentaux qui protègent à suffisance les biens collectifs, le domaine public peut toutefois, faire l’objet d’occupation et de jouissance à titre privatif par des personnes physiques ou morales de droit privé suivant des conditions et modalités prévues par les textes en vigueur.

2- Conditions et modalités d’occupation du domaine public

Conformément donc aux textes en vigueur, l’occupation d’une portion du domaine public de l’État ou des Communes à titre privatif ne peut avoir lieu qu’en vertu (i) d’un acte administratif unilatéral délivré par l’autorité compétente (Ministre en charge du domaine ou Maire selon que le bien concerné relève du domaine public de l’État ou de la Commune), ou (ii) d’un contrat passé entre l’Administration publique et l’occupant.

Quelle que soit la nature de l’acte administratif sur lequel elle repose, l’occupation du domaine public est accordée à titre temporaire, précaire et révocable. Elle peut dans certains cas, être assortie du paiement d’une redevance.

En réalité, lorsqu’on y regarde de près, on se rend compte que ces prescriptions réglementaires concernent beaucoup plus les occupations liées au domaine public routier (les routes et leurs dépendances) que celles des lacs et lagunes qui abritent les cités lacustres avec leur spécificité du  » cadre de vie sur l’eau « .

3- Situation inconfortable pour les habitants : une mesure forte comme remède

Au regard de tout ce qui précède, l’on peut aisément et sans conteste, conclure que les cités lacustres au Bénin, se trouvent depuis très longtemps, dans une situation d’illégalité (illégalité qui est tolérée par les autorités à divers niveaux), du point de vue de l’occupation des lacs et des lagunes. Par conséquent, leurs habitants peuvent être qualifiés d’occupants illégaux du domaine public naturel.

Ainsi, en l’absence d’actes légaux de propriété ou d’autorisation d’occupation qui leur garantiraient quelque protection juridique, ils vivent sur l’eau, sous la menace psychologue permanente d’un déguerpissement qui certes semble inimaginable aujourd’hui, mais qui reste bel et bien une éventualité, vu sous l’angle de la légalité.

Malgré eux donc, ces paisibles citoyens baignent dans une insécurité et une précarité foncières qui ne sont guère de nature à les inciter à investir par exemple, de façon substantielle, dans l’amélioration de leurs conditions et cadre de vie.

Face à cette situation bien spécifique, censée interpeller toute personne intéressée par la problématique foncière et domaniale, il y a deux options possibles qui s’offrent aux pouvoirs publics qui sont garants de l’intérêt général : l’une qui relèverait plutôt d’une hypothèse d’école et l’autre du réalisme et du pragmatisme.

3.1- Option 1: Libération de toutes les emprises des lacs et lagunes indûment occupées

Les dispositions du Code Foncier et Domanial, telles qu’elles sont actuellement, inclinent à admettre que la libération des emprises constitue la réponse logique qui correspond à la situation d’occupation illégale des lacs et des lagunes. Seulement que dans le cas en présence, l’occupation dure depuis des décennies voire même des siècles, et ce, dans une apparente indifférence qui, à la lumière des actes et des faits, peut bien être assimilée à une reconnaissance tacite de la part des autorités publiques.

L’érection des différentes localités concernées en circonscriptions administratives (village, arrondissement, commune), la perception d’impôts et taxes auprès des habitants et des touristes, la présence de l’État à travers la fourniture aux populations, des services publics de santé, d’éducation, de sécurité..etc, ne constituent-ils pas autant d’éléments de preuve d’une légitimation par les pouvoirs publics de l’occupation illégale des lacs et lagunes ?

Dans un contexte pareil, il serait totalement illusoire d’envisager la prise et la mise en Å“uvre de cette mesure radicale de libération, dont d’ailleurs le coût, au triple plan social, politique et économique que ne manquerait sans doute pas de révéler une sérieuse évaluation ex-ante de la mesure, devrait suffire à dissuader tout décideur sensé.

3.2- Option 2: Régularisation et encadrement de l’occupation des lacs et lagunes

En définitive, la régularisation apparaît donc comme l’option idoine, à même de sortir les habitants des cités lacustres de l’insécurité et de la précarité foncières dans lesquelles ils sont depuis très longtemps.

Cette régularisation nécessaire, qui ne sera qu’une reconnaissance formelle de la situation de fait qu’elle viendrait ainsi entériner, va consister notamment à (i) délivrer des titres appropriés d’occupation, et à (ii) édicter, sur la base des bonnes pratiques coutumières, des règles et procédures simples d’occupation et d’utilisation de l’espace applicables aux lacs et lagunes.

4- Nécessité de mettre en place un groupe de travail pluridisciplinaire

En raison de la complexité et de la grande sensibilité du sujet dont la nature multidimensionnelle n’échappe point à personne, il est souhaitable de mettre en place un groupe de travail pluridisciplinaire aux fins d’étudier et de proposer les modalités pratiques de mise en Å“uvre de la mesure de régularisation.

En dehors des représentants des Administrations et des populations concernées, ce groupe pourrait également comprendre des spécialistes (i) du droit foncier et de la domanialité publique, (ii) de l’aménagement de l’espace, (iii) du transport fluvio-lagunaire, (iv) de la pêche, (v) de l’hydraulique, (vi) du tourisme….

Dans le cadre de ses travaux, le groupe aura à aborder et examiner un certain nombre de questions parmi lesquelles on pourrait à titre indicatif, citer celles qui suivent :

✓  la nature et la valeur du titre que l’Administration pourrait délivrer aux habitants ;

✓  les critères à remplir pour en bénéficier ;

✓  les formalités à accomplir par les postulants ;

✓  les voies et moyens d’une bonne maîtrise de l’occupation des surfaces des lacs et lagunes ;

✓  les règles et prescriptions à respecter dans le cadre des projets de construction ;

✓  l’applicabilité des diverses propositions au regard de la réglementation en vigueur ;

✓  etc….

Les conclusions qui seront issues des travaux du groupe devront, une fois validées par les instances habilitées, pouvoir servir de base et de référentiel pour toutes les actions que les pouvoirs publics seront amenés à initier en vue de la restauration de la sécurité foncière dans les cités lacustres, pour le plus grand bonheur de leurs habitants.

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