Le retour des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest, au Sahel notamment a résonné comme un cinglant à la mal gouvernance des civils à la tête des Etats. Une flopée de maux a été agitée dans l’opinion pour cautionner l’acte des putschistes et les légitimer. Non-respect des pratiques démocratiques, bâillonnement des libertés publiques, non-prise en comptes des aspirations des populations, et dégradation de la sécurité face à l’avancée du terrorisme sont entre autres griefs. Egalement, certaines puissances occidentales dites « impérialistes » sont mise à l’index comme instigateurs de l’avancée terroriste, suivie d’appels à leur départ pour assoir l’hégémonie des juntes, quitte à nouer d’autres partenariats, notamment avec la Russie.
Mais des mois et des années après quel bilan peut-on faire ? L’avènement des hommes en uniforme a-t-il permis de changer la donne ou l’éléphant annoncé est arrivé avec des pieds cassés ?
La réponse à ces questions sans faux-fuyants et avec circonspection permet d’avoir une perception de l’apport de ces nouvelles autorités, et leurs limites. Ce, afin de se projeter dans les perspectives de gouvernance des Etats en Afrique de l’Ouest, face aux différents enjeux, notamment de développement et géostratégiques.
Quid des droits et libertés fondamentaux ?
L’avènement de nouvelles autorités au pouvoir dans certains Etats d’Afrique de l’Ouest, au Sahel notamment a été annoncé comme pour rectifier les égarements des anciennes autorités dont la gouvernance rime avec des relents autoritaires. Ce qui sous-entend que si les nouvelles autorités gèrent légèrement mieux que les pouvoirs auxquels ils ont succédé le tournant amorcé serait un égarement. Ils avaient donc la responsabilité de gouverner nettement mieux. Mais à l’arrivée qu’est-ce qui s’observe ?
Aussitôt installés que les pratiques autrefois remises en cause ont été perdurées voir exacerbées.
Au Mali, plus de trois ans après l’avènement de la junte au pouvoir pour rectifier un recule démocratique, visiblement la restauration de ces valeurs peine dans le pays. Au rendez-vous, la restriction de toute expression dissidente par les militaires qui ont pris le pouvoir par la force en août 2020 en renversant le président civil Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Entre coupures d’émission de médias dits impérialistes, interdictions de manifestations, mise entre parenthèse des partis politiques le bilan sur la restauration de la démocratie reste un cuisant échec. La formule trouvée pour soutenir ceci est : « Souvent, c’est la démocratie qui est utilisée pour tuer la démocratie » ou encore « angélisme démocratique » au service des « ennemis du Mali ». L’imam Mahmoud Dicko leaders des mouvements de la Coalition du M5-RPF qui ont contribué à renverser le régime déchu s’est exilé de fait en Algérie d’où il pourfend les nouvelles autorités.
Depuis le 10 avril 2024 « jusqu’à nouvel ordre » pour raisons d’ordre public les activités des partis politiques et les activités à caractère politique des associations sont suspendus suite à une déclaration commune le 31 mars de plusieurs partis et organisations de la société civile pour déplorer le « vide juridique et institutionnel » laissé par le non-respect de l’échéance du 26 mars pour la fin de la Transition conduite par les militaires.
Au Burkina Faso la suspension des activités des partis politiques a été actée depuis le 30 septembre 2022, date de la prise de pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré. Avec ces travers, on est loin du compteur de la jouissance des droits et libertés fondamentaux.
Méthodes draconiennes ?
Avec l’avènement des juntes une méthode est devenue récurrente contre des voix discordantes. Au motif de « complot contre la sûreté de l’Etat » et « association de malfaiteurs » des pratiques d’une autre époque ont ressurgie.
Que ce soit au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, le phénomène est récurent. Plusieurs cas d’enlèvements de voix considérées comme hostiles aux régimes militaires au pouvoir ainsi que des éléments de l’armée sont notés.
Au Mali, le colonel-major Kassoum Goïta, membre du groupe de colonels qui ont renversé IBK et cinq autres hommes dont Kalilou Doumbia l’ancien secrétaire général de la présidence sous Bah N’Daw ont été arrêtés et détenus au secret en septembre et octobre 2021. Ils ont été torturés pendant leur détention, a dénoncé Human Rights Watch. En novembre 2021 l’appareil judiciaire a indiqué qu’ils étaient mis en cause pour tentative présumée de coup d’État.
Au Burkina Faso il est observé des cas de mise aux arrêts, libération suivie d’enlèvement, ainsi que des enrôlements forcés de voix critiques sur les fronts de lutte contre le terrorisme. Entre autres enlèvements, le journaliste Atiana Serge Oulon directeur de publication de l’Événement, un journal d’investigation de référence du pays a été enlevé le lundi 24 juin 2024 au petit matin comme on vient cueillir un terroriste au pied de son lit, par des individus se présentant comme membres des services de renseignement du Burkina Faso.
Agé de 74 ans, Mousbila Sankara avait demandé au chef de la junte dans une lettre de protéger les « droits fondamentaux des travailleurs acquis depuis longtemps » et « ouvrir l’espace public aux citoyens pour l’expression de leur liberté ». L’ancien diplomate, oncle et compagnon de lutte du père de la révolution burkinabée Thomas Sankara tué en 1987, a été « enlevé » mardi 11 juin 2024 par « des individus » disant appartenir aux services de renseignement.
En Guinée, condamné par le tribunal militaire de Conakry à cinq ans de prison ferme pour « désertion et détention illégale d’armes », le 14 juin 2024, le colonel Sadiba Koulibaly ancien chef d’état-major général des armées et numéro deux du putsch qui a installé la junte est mort durant sa détention samedi 22 juin. Il était détenu dans un lieu tenu secret. Officiellement le rapport d’autopsie indique un arrêt cardiaque qui « pourrait être imputable à un psycho-traumatisme et un stress prolongé ».
Des transitions interminables ?
Outres les exactions dénoncées au sein de l’opinion, il se pose la question de la feuille de route des juntes. Censées proposer des solutions à la crise sécuritaire et politique au Mali, les centaines de participants qui ont pris part à des consultations nationales ont recommandé, vendredi 10 mai 2024, de prolonger de trois années supplémentaires le régime des militaires qui ont pris le pouvoir par la force en 2020 à partir de fin mars 2024 jusqu’en 2027.
Alors qu’en prenant le pouvoir en 2020 à la tête de ce pays confronté aux djihadistes et aux agissements des groupes armés, les militaires s’étaient engagés en 2022 à rendre le pouvoir aux civils en mars 2024 après des élections.
Apres avoir renvoyé aux calendes grecques la tenue d’élections au Burkina Faso un an après sa prise de pouvoir le 30 septembre 2022 pour faire de la sécurité la priorité, Ibrahim Traoré, à l’issu d’une assise s’offre un quinquennat de plus. Le Chef de la junte a entamé un nouveau mandat de Cinq ans le 2 juillet 2024, sans l’organisation d’un scrutin. Ce, conformément à la nouvelle charte adoptée les 25 et 26 mai dernier.
En Guinée, le premier ministre Amadou Oury Bah a reconnu que les militaires, qui ont pris le pouvoir en 2021, devraient rester jusqu’en 2025 contrairement à leur engagement initial de céder le pouvoir d’ici fin 2024.
Il est noté que ces juntes ont tous manqué à leurs engagements pris chacun sous la pression de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) suite à des sanctions rigoureuses de l’organisation sous-régionale.
On peut aisément se rendre à l’évidence que c’est dans une volonté de s’affranchir de la pression de la CEDEAO que le Mali et Burkina Faso l’ont vouée aux gémonies pour créer l’Alliance des Etats du Sahel (AES) en trio avec le Niger qui également a connu l’avènement d’un régime militaire en Juillet 2023 avec des sanctions qui vont être levées plusieurs mois après. Malgré tout ce qu’on peut reprocher à la CEDEAO, elle apparait comme l’Å“il de Caïn de ces juntes, pour un retour à l’ordre constitutionnel.
Dans le contexte actuel de prolongation de transitions au bon vouloir des juntes, il est attendu des institutions de régulation, notamment les instances constitutionnelles de ces pays de jouer leur rôle pour siffler la fin de la récréation pour que les militaires prennent le contrôle de la défense depuis l’état-major des armées et les civils la tête des Etats.
L’insécurité zéro n’existant pas, opposer une trêve totale de menace avant d’organiser des élections serait simplement une manière douce de renoncer à quitter le pouvoir. Puisque pour y rester indéfiniment, il est très facile d’agiter la menace terroriste et ainsi, rebelote !
Nécessité du fait de la menace terroriste ?
Le fantasme autour de l’uniforme militaire entretien le mythe de l’avènement d’un élément de l’armée au pouvoir pour l’efficacité de la lutte contre la menace terroriste. Ceux qui sont sceptiques aux succès d’un chef d’Etat démocratiquement élu fondent leur conception sur cette vue d’esprit pour l’efficacité des opérations militaires. Pour eux, seuls les militaires sont aptes pour assurer la sécurité. Si leur postulat est vrai, ce n’est pas en étant à la tête de l’Etat que cette efficacité serait notée, mais plutôt au front.
Au Sénégal, grâce au sursaut d’orgueil du Conseil constitutionnel, le pire a été évité et la démocratie a triomphé. Les militaires seraient entrés en jeu qu’aujourd’hui on serait loin d’imaginer quel en serait la suite et à quand cet éternel recommencement prendra fin. Entre deux maux il faut choisir le moindre. Car, si les institutions fonctionnaient comme cela se doit, les conseils de défenses des Etats seraient habilités à prendre des mesures adéquates face aux enjeux comme celui du terrorisme. Mieux, les parlementaires qui ont des commissions sécurité et défense pourraient prendre des lois et orienter le budget général de l’Etat aux fins de consacrer des ressources conséquentes, mettre en place des commissions d’enquêtes sur la conduite efficace des mesures sécuritaires face au terrorisme et bien d’autres initiatives.
La tendance à croire que pour faire face aux questions de sécurité il faut des hommes en uniforme au pouvoir n’est qu’une parfaite illusion. La preuve aujourd’hui est que les grandes puissances militaires craintes de par le monde n’ont pas des militaires comme président. Egalement lorsqu’on regarde le conflit russo-ukrainien, aucun des chefs d’Etat n’est un militaire advenu au pouvoir par les armes.
Qu’en est-il de la transparence et de la bonne gouvernance ?
Jusqu’à ce jour, aucune idée n’est faite des accords conclus avec les nouveaux partenaires militaires des juntes. Outres le mécanisme de concession de ressources naturelles agité dans l’opinion par des médias, et des formations et déploiement de matériels militaires et d’instructeurs au Mali, au Burkina et au Niger, ainsi que de groupes militaires privés, ces dossiers restent gardés loin des regards indiscrets. A cette allure, comment opérer une réelle évaluation des résultats escomptés ? Les militaires devraient à travers leur transparence donner l’exemple de bonne gouvernance là où il est estimé que les civiles ont échoués. Ne pas faire mieux qu’eux serait un acte de trahison.
De plus en plus des populations commencent à être exaspérées de ce que coutent les juntes au pouvoir aux contribuables. Malgré leur accession à la tête des Etats, les conditions de vies des populations sont loin d’être améliorées. Et l’avancée du terrorisme n’a pas pour autant reculée. Cependant, au Mali l’armée a « pris position » à Kidal mardi 14 novembre 2023. Ce bastion de la rébellion séparatistes dominante touarègue qui est un enjeu majeur de souveraineté pour l’État malien. Quelques cas d’offensives des armées sont également notés, mais le spectre du recul du terrorisme est loin car des attaques récurrentes font d’énormes dégâts au sein des populations et de l’armée.
A quand la fin du spectre actuel en Afrique de l’Ouest ?
L’une des raisons logiques qui remettra en cause l’expansion des juntes, est la gouvernance des civiles dans les Etats. Ce serait un exemple parfait si des civils sont exempts de reproches et arrivent à gagner des batailles que ces militaires peinent à remporter, notamment ceux de la sécurité sociale et de la lutte contre le terrorisme. Ceci passe par la vitalité démocratique qui donne des raisons d’espérance comme c’est le cas au Sénégal qui a fait vibrer la sous-région et l’Afrique entière.
L’autre situation qui entrainerait un court-circuit pour un revirement à 180 degré serait similaire à celle de la fin des années 90. Cela passe par le dénouement de la crise géopolitique entre le bloc Occidental et celui de l’Est. Car à bien des égards, l’histoire est en train de bégayer actuellement avec le ballet des coups d’Etat militaires et autres mouvement d’autodétermination un peu comme dans les années 70 au lendemain des indépendances. Tout concorde aujourd’hui à voir ce qui se passe en Afrique de l’Ouest  actuellement comme une transposition de la géopolitique.
Les militaires en général dans leur posture actuelle sont sur un chemin de non-retour, et sauf revirement de situation, cette navigation à vue sous fond d’autoritarisme et autres de coups d’Etat et contres coups d’Etat, va se perpétuer. Un peu comme sont si bien agités des spectres sporadiques soit par simple panique ou volonté de légitimation de pouvoir. Il urge que les juntes prennent conscience de l’évidence pour trouver la panacée pour restaurer le retour à l’ordre démocratique avec la fin des transitions à rallonge, au risque d’ouvrir des fronts d’instabilités sociopolitiques ; puisqu’aux grands maux, les grands remèdes.