La République continue de se vider de son sang et de son sens sous le régime dit de la rupture. L’état du Bénin n’en finit plus d’empirer; un état de non-État qui n’a de règles que la violation des règles, où un seul homme fait la loi. Un État hors-la-loi.
Le 12 juillet 2022, se produit une première – la énième sous Patrice Talon – dans l’histoire démocratique de notre nation. Joseph Djogbénou, Président de la Cour Constitutionnelle depuis la mi-2018, démissionne de son poste et de l’Institution, à un an de la fin de son mandat puis devient, 72 heures plus tard, dirigeant de parti politique. L’acte est aussi inédit que grave. Dans mes souvenirs, ceci n’avait jamais été commis auparavant. Aucun président sortant de la Cour Constitutionnelle, fût-il politiquement marqué avant d’intégrer l’Institution, n’avait pris ou repris des rôles formels voire prépondérants dans un parti.
C’est qu’on est censé n’être plus le même avant et après une telle expérience. On est censé avoir gagné en sagesse même si l’on ne laisse pas derrière soi un bilan sain. Joseph Djogbénou, lui, se sera efforcé d’être beaucoup moins scrupuleux que ses prédécesseurs, à tous les égards. Mais peu lui en chaut! Rien ne l’embarrasse.
Au lendemain de sa démission, il fait réunir la presse et lui annonce que « les objectifs majeurs au sein de la Cour Constitutionnelle lui paraissent être accomplis ». Étant entendu – cela sautait aux yeux – que son « détachement » auprès de la Haute Juridiction participait de la feuille de route dictée par son patron, tout devant concourir à la légitimation des ambitions prédatrices de celui-ci et à la privatisation de l’échiquier politique national. Les Béninois se rappellent la décadence dans laquelle M. Djogbénou a déroulé le plan.
Vu que les objectifs majeurs ont été accomplis, il est nécessaire, a-t-il poursuivi, de « redevenir un ouvrier sur le chantier, un militant à la base », de se mettre à la disposition de son parti politique – Union Progressiste (UP), l’un des deux partis du Président de la République – un parti dont il n’avait jamais été membre. À la naissance de l’UP, Joseph Djogbénou était déjà Président de la Cour Constitutionnelle depuis plusieurs mois. Alternative Citoyenne et l’Union fait la Nation, les formations politiques auxquelles il avait activement appartenu dans son parcours antérieur, ont cessé d’exister. Alors, à quel moment a-t-il pu adhérer à l’Union Progressiste ? Depuis quand milite-t-il au sein de l’UP au point d’en prendre les rênes si immédiatement ? Est-ce pendant qu’il était encore président d’institution ou après sa démission factice ? Puisqu’il n’a pas attendu que son départ soit effective avant de passer chef de parti politique.
Suivant l’article 12 de la loi organique de la Cour Constitutionnelle, la démission d’un de ses membres ne prend effet qu’à compter de la nomination de son remplaçant. Laquelle nomination doit intervenir au plus tard dans le mois de la démission. En termes plus clairs, tant que le remplaçant de Joseph Djogbénou n’est pas désigné, il reste astreint à l’obligation de réserve. Contrairement à la façon dont il l’interprète, l’obligation de réserve ne consiste pas seulement à ne rien reveler qui soit dans le périmètre de la Cour Constitutionnelle. Elle lui impose aussi de se garder de tout activisme politique, tout au moins jusqu’à ce que son départ soit acté par l’arrivée de son successeur. Même si la loi ne l’avait pas indiqué, le bon sens aurait dû le lui enseigner. Nous sommes en septembre et son remplaçant n’est toujours pas choisi.
N’ayant pas attendu d’être déchargé pour satisfaire aux urgences politiciennes de son maître, il piétine, en outre, l’article 14 de la charte des partis politiques : « ne peuvent être fondateurs ou dirigeants d’un parti politique, les personnes membres des Institutions de l’État impliquées dans l’organisation des élections et dans la gestion du contentieux électoral ». Cet article prouve, qui plus est, que Joseph Djogbénou n’a pas pu être membre fondateur de l’UP qu’il a commencé à diriger après avoir à peine annoncé son départ de ses fonctions précédentes.
D’un autre côté, le règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle, en son article 9, leur enjoint, à lui et à son clan, de désigner un nouveau président de la Cour au plus tard à la fin du mois d’août, une fois les exigences de l’article 12 de la loi organique satisfaites. À ce jour, la Cour Constitutionnelle demeure non seulement amputée d’un membre mais également décapitée. Une double infraction aux textes régissant cette instance cardinale dans la vie et le fonctionnement de la République ! Et une triple infraction quand on verse au dossier, la violation de la charte des partis politiques.
Le passage de Joseph Djogbénou à la tête de la Cour Constitutionnelle a porté la canaillerie à son paroxysme, franchi un cap définitif dans la mission d’affaissement de notre édifice institutionnel que s’est assignée la talonie. Son intronisation abrupte à la tête de l’UP est l’expression la plus éloquente de l’immoralité du système qui a accaparé le pays, dont il est l’un des horribles dignitaires, celui qui proclama « la politique de la ruse et de la rage » après l’échec au parlement du projet de révision de la constitution qu’il pilotait en tant que ministre de la justice de Patrice Talon. Puissent l’histoire le rattraper et l’avenir lui demander des comptes !