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Chronique

Dantokpa, l’écheveau d’un marché sous-régional au Bénin

Par
Anges Banouwin
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Des « tsunamis » sont passés mais Dantokpa est resté. Après des incendies de toutes sortes, incidents, braquages et autres, le marché Dantokpa a été restauré, reconstruit, remaillé. A plus d’un titre, Dantokpa reste le cÅ“ur de Cotonou, d’aucuns diront son âme, qui lui donne vie. Difficile d’évoquer Cotonou à quelqu’un en provenance de l’intérieur du pays ou d’un pays voisin et bien encore d’un coin de la planète sans  la ‘’carte postale’’ Dantokpa. Car des ports il y en a partout au monde sur les côtes, mais Dantokpa reste unique au monde.

Beaucoup auront parié que si comme la cathédrale Notre-Dame de Paris, une catastrophe frappait Dantokpa, des particuliers mettraient tous leurs avoirs à contribution pour le reconstruire.

A la veille des présidentielles de 2016, un incendie survenu en 2015 a mobilisé la flopée de potentiels candidats avec divers présents et promesses de restructuration de cet identifiant du Bénin.

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Présenté comme le plus grand marché d’Afrique de l’Ouest à ciel ouvert, c’est à peine que si du fait de l’informel le Port de Cotonou est présenté comme le poumon de l’économie nationale, que Dantokpa mis dans certaines normes n’en serait pas la seconde paire.

Curieuse anecdote, Dantokpa n’est pas annoncé à être reconstruit mais plutôt ‘’rasé’’. Pis fondu dans des infrastructures marchandes éparses dont les nouveaux marchés urbains construits dans Cotonou et centres commerciaux environnants.

Cela n’est-il pas une panacée pour un Cotonou moderne ?

Même si c’est un gisement de pétrole ou toute autre ressource naturelle qui est découvert sous son emplacement actuel, beaucoup opteraient qu’on y renonce. Au mieux, inviteraient à le délocaliser sur son itinéraire de naissance ou ses environs sans pour autant perdre son âme dans des marchés urbains furent-ils, qui ont leur histoire à eux et reconstruits à leur emplacement d’alors.

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L’annonce d’une éruption volcanique à son emplacement ou tout autre phénomène sismique n’aurait perturbé la quiétude de plus d’un. A moins qu’à l’évidence ils ne finissent par s’y résoudre car  le lieu est d’ailleurs empreint d’un atout spirituel.

L’expansion observée sur son implantation actuelle est spontanée, malgré un plan d’aménagement apparemment disponible.  À l’origine, dans les années 1940, le marché Tokpa qui signifie « près de la lagune » est implanté au nord de l’ancien pont de Cotonou. À l’étroit, Tokpa sera déplacé à Gbogbanou, puis, en 1963, à son emplacement actuel.

Avec  la présence du lieu de culte à la divinité Dan advient la transformation de son nom en Dantokpa.

La vocation sous-régionale du marché s’est vite établie et la construction du grand bâtiment à étage dans les années 1970 est devenue insuffisante pour enrayer l’implantation d’installations précaires autour du bâtiment. Dans les années 1980, l’augmentation de la renommée et de l’occupation sauvage de l’espace, s’accompagne de la réalisation de grands travaux d’équipements.

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Dantokpa un haut lieu du pouvoir de la gente féminine ?

La toponymie, science qui étudie les noms des lieux permet de s’aviser que Dantokpa est tout un vestige économique, touristique, culturel et spirituel. A cela s’ajoute son caractère politique. Beaucoup s’y jouent et le nier ou faire fi de cela serait courir à la Saint-Glinglin. L’histoire rapporte qu’au début de l’année 1990, les commerçants contestant violemment sa gestion lancent une grève des paiements qui pri une grande ampleur. Ses lourdes conséquences financières, civiles et politiques leur font obtenir satisfaction. L’équipe dirigeante et des tickettiers sont remplacés et les droits de place revus à la baisse. Egalement, l’entrée des commerçants dans le comité de cogestion sera acté. La cour des politiques aux femmes dudit marché en dit long sur son poids politique et ses enjeux à la veille de chaque joute électorale.

Le grand catalogue intitulé «Â Dantokpa plus qu’un marché », réalisé par le photo journaliste béninois Martial Dansou, présentant une série de belles images du marché Dantokpa,  permet de réaliser qu’il est un instrument d’émancipation des femmes et un monument du patrimoine culturel béninois. 

Mauvais idée ou mauvais timing de ‘’délogement’’ des commerçants de Dantokpa ?

A peine l’ouverture des marchés modernes construits au Bénin par le pouvoir en place entamé avec les premiers locataires de celui de Cadjèhoun à Cotonou, que l’euphorie s’est faite de courte durée dans l’opinion. Les heures d’ouverture et de fermeture ont été les premiers éléments. Bien qu’il s’agisse de marchés modernes, en termes d’infrastructure, il ne s’agit pas de marché pour zones résidentielles, ou fonctionnaires. Puisqu’on sait à quelle heure les gens rentrent pour faire leurs emplettes, dans un contexte ou la majorité de la population vit au quotidien. Car c’est avec le gain de la journée que beaucoup au retour de leurs activités s’acheminent vers les marchés.

On eu cru avec le cours des évènements qu’il y a bien de gens déconnectés des réalités du pays qui s’occupent de certains dossiers, ou carrément ont-ils choisi pour quelle raison de travailler à leur enlisement.

A peine les horaires d’ouverture et de fermeture des nouveaux marchés sont en débat, que l’annonce de l’inscription  des commerçants de Dantokpa est faite pour que ces derniers s’enregistrent pour trouver place dans les marchés nouvellement construits. Une véritable opération de sape sur tout l’arsenal mis en place pour la construction de ses joyaux dont la mise en service était si tant attendue. Et c’est sans compter avec les réalités de reprise des activités marchandes dans un nouvel emplacement qui nécessite un capital.

Mieux, Dantokpa a sa particularité, dont ses produits, le mode de cession et la clientèle, distincte de celle des marchés secondaires ou urbains.

Certes, la décision de délocaliser des pôles de Dantokpa avait été préalablement annoncée avec la construction du marché de gros à Abomey-Calavi, mais les populations attendaient de voir la suite. A l’arrivée, la formule proposée aura estomaqué plus d’un.

Bien que les nouvelles infrastructures des marchés modernes de Cotonou soient supposées offrir plus de places qu’il y en avait, on ne devrait s’attendre à ce qu’elles soient toutes occupées aussitôt.

Les affaires, sont une question de ressources. Mieux la planification souhaite que les espaces ne soient combles qu’au fil du temps en fonction de la démographie au point qu’on arrive à en demander la construction d’autres.

Dans le film « Luxe et décadence » de Daniel Craig, un adolescent demande à son frère :

  • – Dieu a mis combien de temps  pour faire le monde?
  • – 6 jours et le 7ème il s’est reposé. Répondit-il.
  • – Je pense qu’il aurait dû travailler plus longtemps, comme ça il aurait mieux fait son travail. Je suis sûr que j’aurais mieux fait que lui.  Réplique l’adolescent.

Du tout moderne pourquoi ne pas y songer pour Dantokpa ?

Loin de toute volonté anti-changement, Dantokpa n’est pas un marché urbain, main plutôt un marché international. La construction ou du moins la reconstruction des marchés des autres villes secondaires ou à statut particulier n’a pas conduit à raser leur emplacement et les déplacer ailleurs. On s’attendrait à voir un marché Dantokpa reconstruit, modernisé en tenant compte de la particularité de ses commerces avec des axes et services de secours comme ce n’est pas le cas actuellement, permettant sa fluidité, son attrait et l’efficacité des urgences et pompiers.

La construction du pont sur le lac Nokoué ( contournement de Cotonou) devant être mise au compte du corridor Abidjan-Lagos qui jusqu’ici peine à prendre corps ne saurait également justifier un effacement de Dantokpa noyé dans des marchés urbains malgré la construction d’autres pôles économiques commerciaux, dont l’avènement est la bienvenue et qui auront leurs occupants et clientèle.

A plus forte raison, le corridor est réservé pour le transport inter-Etats des marchandises et des personnes. Ceux qui viendront pour faire escale pour  le commerce international pourront faire leurs affaires sans gêne. La construction du nouveau pont de Cotonou à l’époque a cassé le cÅ“ur du marché d’origine. Mais des dizaines d’années après Dantokpa reste et demeure.

Des usagers y viennent par voie aérienne que terrestre et fluviale, donc un nouvel itinéraire ne devrait véritablement impacter Dantokpa. Le cas échéant, le marché se serait délocalisé de lui-même face à la demande et non transféré dans des marchés urbains, destinés à servir une cible qui n’est pas la tienne.

L’un des exemples est le marché Missebo appelé à être délocalisé mais qui peine à prendre, car annexé à Dantokpa qui est son poumon.

La situation géographique de Dantokpa dont une partie des principaux acteurs vient de Porto-Novo et des usagers du Nigeria et autres pays de la sous-région avec une forte communauté à Akpakpa à l’Est de Cotonou sont l’expression de la chaine économique autour de ce marché et ses réseaux sociaux, comme d’affaires.

Pour l’heure, Dantokpa n’est pas un marché  mourant pour qu’on souhaite faire table rase ou le reconstruire ailleurs. Et dès que c’est le cas, ce serait un fait historique, car en Afrique les marchés naissent et s’animent, contrairement à l’occident ou avec la modernité on en prévoit dans les plans d’urbanisation de ville à créer. Leur contexte d’animation reste un alliage tout singulier. De quelques étales à la floraison de hangars, boutiques et du monde, les marchés africains de renom à l’instar de Dantokpa ont leur âme qui les maintient en vie répondant à des lois particulières.

Alors, Dantokpa ne devrait-il pas être rasé ?

« La construction d’une nation moderne peut exiger la destruction de certaines reliques du passé. Mais il se pose parfois aux responsables des dilemmes insolubles, d’autant plus qu’ils ne connaissent de la civilisation locale que les vestiges désuets qui en sont restés », énonce Jean Pliya dans son célèbre ouvrage « L’arbre fétiche ».

Bien que suivant l’histoire, le marché Dantokpa ait connu une itinérance avant de se retrouver à son emplacement actuel depuis plus d’un demi-siècle, il reste pour la mémoire collective comme un lieu singulier sur la vie socioéconomique de Cotonou et du Bénin entier.

Jusqu’à nos jours l’appellation « Tokpa-xoxo » désigne ses origines et ses environs, et le symbolisme culturel, économique et spirituel représenté par ce lieu ne peut être réduit pour la simple expression du modernisme.

De nombreux commerçants d’Afrique de l’Ouest notamment du Nigeria, du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de Côte d’Ivoire et d’Afrique centrale dont le Cameroun, se retrouvent sur ce grand marché pour y faire des affaires.

Son  rôle dans l’importation et la réexportation, autrefois, de produits de luxe, et maintenant, des produits de première nécessité en direction ou en provenance du Nigeria est connu. On peut y trouver les produits artisanaux et des biens manufacturés, tout ce qui peut être acheté ou vendu. Ce qui en fait le lieu de subsistance ou de la débrouille au vrai sens du thème qui caractérise les communautés africaines, comme des peuples rompus à la tâche. En un mot, c’est le socle de la vie à Cotonou depuis des lustres. Le passer outre, ne serait pas loin de mettre ‘’fin’’ à la vie à Cotonou et  effacer un pan de son histoire.

«Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme », concluait Alain Foka dans sa célèbre émission, Archives d’Afrique.

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