Au Bénin, ce sont des levées de boucliers qui s’observent suite à des sorties médiatiques d’anciens membres du Gouvernement Talon. Faits anodins ou à prendre au sérieux ? La teneur des propos, les réactions, et les circonstances qui ont donné lieu à ceux-ci permettent d’y voir plus clair. Un peu comme les faisceaux de soleil illuminent le brouillard au petit matin.
Un an après son départ du gouvernement, en deux sorties médiatiques, l’ex ministre des affaires étrangères et de la coopération du Bénin, Aurélien Agbénonci, n’a pas fait dans la dentelle au point de susciter la critique des soutiens du régime dont il a été au cÅ“ur ; voir l’une des principales figures dans un passé récent.
Devenu libre de tout engagement du pouvoir de Cotonou, Aurélien Agbénonci ministre entre 2016 et 2023 des Gouvernement Talon I et II a retrouvé en tant qu’expert international, la sève de son latin. Et sans ambages il fait ses analyses désormais à haute et intelligible voix. De quoi vexer ceux qui s’attendent à le voir dans la posture du ministre du gouvernement qu’on attendait ou qu’on connaissait de lui, « être royaliste que le roi ».
De passage à Paris, Aurélien Agbénonci qui aujourd’hui, travaille auprès du Forum de Crans Montana, qui fait du conseil stratégique est intervenu le 9 mai dernier sur Rfi au sujet du bras de fer qui oppose le Niger et le Bénin depuis l’avènement des nouvelles autorités sur leur refus de rouvrir la frontière entre les deux pays. Sa posture n’a pas été du gout de bon nombre de soutiens du pouvoir de Cotonou qui s’attendaient certainement à ce qu’il se ligue contre les nouvelles autorités de Niamey. Lui qui a distribué les cartes et relevé des erreurs de la CEDEAO, dont la position a été défendue et assumée par le Bénin.
Conséquence directe d’une disgrâce ou prise de distance assumée ?
Encore membre du gouvernement Talon II, Aurélien Agbénonci faisait partie des trois Béninois qui étaient candidats au poste du Représentant spécial de l’Organisation des Nations Unies (Onu) pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (Unowas), dont l’ex président de la République du Bénin, Boni Yayi, et le fonctionnaire des Nations Unies, Arnauld Antoine Akodjènou. En challenge avec plusieurs autres nationalités comme Alpha Barry, ancien ministre des affaires étrangères du Burkina Faso et autres ; à l’arrivée, le Secrétaire général de l’Onu, António Guterres a préféré porter son choix sur l’ancien ministre des affaires étrangères du Mozambique, Leonardo Santos Simao.
Cette candidature étaient elle au fait de son ami d’enfance et chef du gouvernement Patrice Talon alors qu’il était ministre ? Sans compter avec ses potentielles ambitions présidentielles à la suite de celui-ci dont il a porté la voix sur la scène internationale avant l’avènement de la vice-présidence dans les institution du Bénin. De quoi permettre de faire un lien entre un départ peut être nourri en secret, qui n’aurait pas plus à son ami d’enfance ou une ambition indigeste de succession. Surtout quand on sait le sort réservé à l’entourage de Talon en qui des velléités de succession transparaissent, grâce à des démissions et limogeages enregistrés.
Aurélien Agbénonci, chef de la diplomatie béninoise entre le 6 avril 2016 et le 6 juin 2023, l’un des plus proches collaborateurs de Talon, la bonne relation entre les deux hommes s’est vite affichée au grand jour dès les premières heures du régime. Il a souvent représenté le chef de l’Etat béninois à de grands rendez-vous internationaux. Alors que l’absence de ce dernier était diversement perçue au sein de l’opinion, Agbénonci ne manquait pas d’affirmer et justifier une nouvelle vision en marche.
L’un de projet phare et a polémique qu’il a porté est la modification de la carte diplomatique du Bénin, revue au moins trois fois entre 2016 et 2020, au motif de faire de la diplomatie économique afin d’optimiser les dépenses de l’Etat, mais également d’en faire un levier de devises.
Son passage à la tête de ministère n’a pas été un fleuve tranquille avec la crise des frontières avec le Nigeria qui a décidé unilatéralement le 20 août 2019, de fermer ses frontières terrestres avec le Bénin. Et la convocation de l’ambassadeur du Nigéria près le Bénin suite à l’incursion d’individus supposés être des douaniers et militaires parce qu’habillés comme tels et venus du Nigéria à bord de pick-up qui s’en sont pris à des magasins appartenant à des commerçants béninois d’une zone frontalière du pays. Emportant des sacs de riz, des téléphones et de l’argent après avoir intimidé les populations le 14 novembre 2019.
A cela s’ajoute le retrait de l’agrément d’Olivier Nette, ambassadeur de l’Union européenne au Bénin, aux lendemains des élections exclusives du 28 avril 2019, en novembre. Ce, des suites des violences et des morts engendrées par de lois électorales à polémique. Le diplomate d’origine allemande, était accusé d’ingérence dans les affaires de politique interne du Bénin, et déclaré persona non grata. De quoi donner des tournis ou rebuter certains lorsqu’en 2024, Aurélien Agbénonci sort l’argumentaire des coups d’Etat institutionnels comme caution des coups d’Etat militaires.
Et pour cause ?
Agbénonci n’est pas le seul sorti du gouvernement dont les postures ont été à charge contre le pouvoir Talon. On peut bien citer Oswald Homeky, ex ministre des sports et Sévérin Maxime Quenum, ex ministre de la justice. Tous vitriolés chacun selon son grade. Bien avant, il y avait Candide Azannaï qui a démissionné du Gouvernement Talon le 28 mars 2017, dans un contexte politique tendu de révision de la Constitution béninoise.
Si en politiques tous les coups sont permis, ils permettent dans certaines circonstances de déclencher des remises en cause quand ils proviennent du cÅ“ur d’un système afin de le restaurer. Le plus souvent lorsqu’il sort de ses plates-bandes ou carrément part en vrille.
Un peu comme en kinésithérapie, le principe des ondes de choc est d’appliquer des impulsions répétées sur la zone à traiter, à travers le tissu cutané. Avec pour vocation d’aider à régénérer les fibres lésées en désintégrant les calcifications afin de faciliter leur résorption, et favoriser la régénération des tissus lésés.
On connait les opposants politiques avec leur casquette et éléments de langages qui passent rapidement en raison de leur bord comme des invétérés insatisfaits sous les tropiques. Des gens qui veulent tout peindre en noir ou qui voient toujours le verre à moitié vide. Allant parfois même à exhumer le passé de certains pour leur opposer véhément de la boucler. Et donc, pas qualifiés de s’aventurer à dire quoi que ce soit. Car si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire.
Secousses d’un atterrissage imminent ?
Le timing de l’avènement de certaines dissidences malgré leur bonne foi penche à priori pour une manière douce de régler ses comptes ou une volonté de remonter en surface. Attraper une autre branche après avoir lâché la précédente. Tant les ambitions et la volonté de survie politique au terme d’un régime ou après avoir participé à un système nécessite de la stratégie pour pouvoir tenir longtemps en politique, ou du moins devant la scène public au plan national ou international.
La quête d’un renouveau ou d’être une alternative crédible parfois passe par une dissidence assumée et clamée. Cette stratégie a permis à certains de se repositionner au terme d’un régime avec fortunes diverses. D’aucuns sont devenus des opposants sérieux au point de reconquérir le pouvoir comme ce fut le cas de Maky Sall au Sénégal face à Abdoulaye Wade dont il fut d’ailleurs le premier ministre de ce dernier ayant battu le record de longévité, du 21 avril 2004 au 19 juin 2007.
Egalement, une telle posture peut se justifier par une volonté de se frayer une place de choix pour un nouveau régime. En fin de mandats constitutionnels, comme c’est le cas au Bénin avec Patrice Talon dont les deux mandats constitutionnels arrivent à terme en mai 2026, la « calculette politique » est la chose la mieux partagée des acteurs politiques. Même si ce dernier tente de garder le contrôle, ce serait jusqu’à quand ?
Surtout que dans la plupart des cas de départs du Gouvernement Talon, les raisons ne sont pas clarifiées, en dehors des spéculations et autres laïus officiels. Ce qui permet de taxer aisément de tous les noms un tel qui fait des déclarations ouvertes opposées à la posture du gouvernement, mais également qui pourrait faciliter son recyclage politique. Chose tout de même pas aisée dans un contexte africain ou la reconnaissance et le silence sont attendus de ceux qui ont eu la « chance » d’accéder à certaines responsabilités sous des dirigeants, comme gage de bonnes mÅ“urs.
La liberté de ton n’étant pas toujours admise dans un clivage de chef d’Etat, père de la nation etc, très assimilable aux autorités traditionnelles face à qui on doit dévotion à vie quel qu’en soit les dissensions. Une difficile prise de distance entre modernité et chefferie, voir aussi un moyen subtil pour tenir en laisse.
Des leçons à tirer ?
Evidemment ! Ces sorties sont de véritables éléments de remise en cause systémique. A la 36ème édition du Forum de Crans Montana à Bruxelles tenue du 26 au 29 juin 2024, « Lorsque les Etats s’engagent à sanctionner les coups d’Etat militaires, ils oublient quelque chose de très fort : les coups d’Etat institutionnels. Au niveau de la population cela a la même valeur. Lorsque vous venez aux élections par des règles et parce que vous voulez perdurer au pouvoir, vous changez ces règles, ça s’appelle aussi un coup d’État. Il est seulement institutionnel », a exprimé Aurélien Agbénonci.
L’actuel Conseiller spécial sur les affaires stratégiques et africaines de l’ambassadeur Jean Paul Carteron, président-fondateur du Forum de Crans Montana, précise qu’il dit toutes ces choses qu’il a apprises par sa petite expérience de « ministre libre » qui aujourd’hui donne des conférence de par le monde et au contact de bien de communautés. Des propos qui résonnent dissonant à Cotonou.
Si légitimement on peut être en droit de dire que de tels propos peuvent provenir de tout le monde sauf lui, au regard d’un passé si récent, il faudra cependant considérer sa posture actuelle. A moins de vouloir passer pour un piètre expert, ou carrément ne plus être porté dans le cÅ“ur de ceux qui ont le bon sens en partage, à cette tribune Agbénonci ne pouvait tenir autre langage.
C’est à raison que certains éminents experts sous les tropiques une fois en politique deviennent méconnaissables, car à l’antipode de ce qu’ils ont professé de par le passé.
Ce qui ramène sur le tapis l’épineuse question de la morale et de l’éthique en politique pour une gouvernance publique qui force l’admiration. Ainsi, ce genre de situation donne malheureusement raison à ce que « autres temps, autres mÅ“urs ».